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Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu votre grossesse et l’accouchement sous X ?

Lorsque je suis tombée enceinte, j’avais 19 ans. C’était une période où j’étais encore en pleine construction de moi-même, et la découverte de cette grossesse a bouleversé ma vie de manière inattendue. J’étais amoureuse d’un garçon, mais nos mondes étaient très éloignés. Lui vivait en banlieue, dans un environnement marqué par une dure réalité, tandis que moi, je venais d’un milieu bourgeois, protégé, où la grossesse hors mariage restait un tabou lourd et inacceptable.

Quand mes parents ont appris ma grossesse, leur réaction a été immédiate, brutale : pour eux, c’était une erreur qu’il fallait corriger au plus vite. Ma mère, paniquée, a proposé l’accouchement sous X comme la seule solution envisageable. C’était un acte radical, sans retour. Et moi, au milieu de ce tourbillon, je me sentais perdue.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que je n’ai pas eu le choix. On pourrait se demander pourquoi je n’ai pas dit non, pourquoi je ne me suis pas opposée. La vérité, c’est que je les aimais profondément. Alors, l’idée de déplaire à mes parents, de risquer qu’ils ne m’aiment plus, m’était insupportable. J’avais une peur panique de les perdre. J’avais une confiance presque aveugle en eux. Je voulais leur faire plaisir, leur prouver que j’étais « la fille bien », obéissante. Alors j’ai cédé. Ils ont su me convaincre que c’était la seule issue.

Mais au fond de moi, quelque chose résistait.

Dès les premières semaines, j’ai su que je voulais cet enfant. L’idée de l’abandonner, de le laisser partir, me broyait de l’intérieur.

En parallèle, le père biologique, lui, avait une position totalement différente. Il voulait que j’avorte. Pour lui, c’était la seule option possible. Mais pour moi, l’idée de l’avortement était inimaginable, bien que la pression extérieure me poussait dans cette direction. J’étais donc prise dans un tourbillon de sentiments contradictoires, tiraillée entre les pressions familiales et mes propres émotions, celles d’une jeune fille qui aimait déjà son bébé avant même de le connaître vraiment. Une profonde solitude m’envahissait à chaque instant, car je n’avais pas d’exemple, de modèle auquel me raccrocher. Tout semblait flou, incertain, et pourtant, une voix intérieure me disait que cet enfant serait ma vie, et que je devais me battre pour lui, malgré tout.

Sur le plan émotionnel, comment s’est déroulé l’accouchement ?

L’accouchement a été une épreuve d’une intensité que je n’avais jamais imaginée, à la fois physiquement et psychologiquement. C’était un moment bouleversant, brutal, presque irréel.

À 19 ans, entre l’adolescence et l’âge adulte, me retrouver seule pour vivre un tel événement a été d’une violence inouïe. Heureusement, l’ancienne directrice de Magnificat m’a accompagnée avec beaucoup de bienveillance. Sa présence, discrète mais constante, m’a offert un soutien précieux. Elle a été la seule personne vers laquelle je pouvais me tourner, et c’est grâce à elle que je ne me suis pas complètement effondrée.

Mais malgré cela, la solitude pesait lourdement. Il n’y avait ni regard aimant, ni main familière à serrer. J’avais espéré, naïvement peut-être, un peu plus de chaleur humaine dans un moment aussi bouleversant. Mais les soignants sont restés distants, presque froids, comme s’ils voulaient éviter toute implication émotionnelle. Peut-être était-ce une forme de protection pour eux, ou une routine devenue mécanique avec le temps. Pour moi, en revanche, ce manque d’humanité a rendu chaque contraction plus dure à supporter, chaque minute plus longue, plus lourde.

Puis, soudain, ce cri. Le premier cri de mon bébé. Un son bref, intense, déchirant. Un cri qui m’a transpercée de part en part. L’instant d’après, j’ai entendu le bruit d’une porte qui se referme. Mon bébé était parti. Tout s’était arrêté. Je me suis retrouvée seule, comme si on m’avait arraché une partie de moi-même. Je venais de donner la vie, mais on me la retirait aussitôt.

Le lendemain a été encore plus cruel. De cette chambre, j’entendais les pleurs des nourrissons dans les pièces voisines. Et moi, j’étais là, avec mon ventre vide et ce silence pesant, insupportable.

Ce silence-là, je ne l’oublierai jamais. Il résonnait comme un écho de ce que je venais de perdre.

Comment avez-vous vécu les jours suivants l’accouchement ?

Le lendemain, je suis allée voir mon enfant. Je l’ai baptisé et lui ai donné un prénom composé, en lien avec le mien. Je lui ai parlé, accompagnée d’une éducatrice. C’était un moment intense, bouleversant, très difficile émotionnellement.

Malgré tout, je voulais me convaincre que ce n’était pas un abandon. Je me disais que cet enfant allait faire le bonheur d’une autre famille, qu’il était attendu et aimé. Je l’ai revu une seconde fois, puis j’ai quitté l’hôpital pour retourner à Magnificat, où j’attendais impatiemment de rentrer chez mes parents.

Comment avez-vous vécu le silence après votre retour chez vos parents ?

C’était une période extrêmement difficile. Le sujet de ma grossesse, et plus encore celui de l’accouchement sous X, était complètement tabou dans ma famille. Il n’y avait pas de mots, pas d’espace pour en parler. Le silence était pesant, presque étouffant.

Pourtant, moi, je l’avais vécu dans ma chair, dans mon cœur. J’avais besoin de raconter, de mettre des mots sur ce que j’avais traversé, mais je me suis retrouvée seule avec ce secret immense. Un secret qui, jour après jour, devenait de plus en plus lourd à porter.

Pour ne pas sombrer, j’ai trouvé un exutoire dans l’écriture. Je me suis mise à écrire à mon enfant, comme si ces lettres pouvaient créer un lien invisible entre nous. Sur le papier, je lui parlais, je lui expliquais que ce n’était pas un abandon, pas un rejet. Je voulais qu’il sache, un jour peut-être, que je pensais à lui, que son existence n’avait jamais cessé de résonner en moi. Écrire, c’était ma manière de rester mère, malgré tout.

Pendant longtemps, j’ai gardé ce lien secret, enfoui. Mais récemment, j’ai ressenti le besoin profond de lever le voile. De sortir de cette prison du non-dit dans laquelle ma famille s’était enfermée depuis tant d’années. J’ai donc pris la décision de transmettre à mon enfant des informations sur moi. Ce geste, simple en apparence, a été en réalité une libération. Une façon pour moi de ne plus nier mon histoire, de l’assumer pleinement. Ce n’était plus seulement un passé douloureux : c’était une vérité que je reconnaissais, et que je choisissais de rendre accessible à mon enfant.

Chaque année, le 2 octobre reste une date profondément marquée dans mon esprit. C’est une journée où les souvenirs remontent, où l’émotion est vive, où l’absence se fait plus présente encore.

Mais ce choix de vérité a un prix : aujourd’hui, mes parents me rejettent. Je suis devenue le reflet d’une réalité qu’ils refusent de voir. Pendant des années, j’ai eu le sentiment de hurler dans le désert, sans jamais être entendue. Ce silence m’a blessée profondément, au point d’en porter les marques d’un stress post-traumatique que j’ai dû soigner en thérapie.

J’ai permis à une famille d’être heureuse, mais j’ai vécu cela dans l’ombre. C’est l’épreuve de ma vie. Et pourtant, une force incroyable est née en moi. Aujourd’hui, je suis en paix avec mon histoire. Vivre en vérité m’a libérée.

J’aime ma famille. Je prie pour qu’un jour, ils sortent du déni. En attendant, je vis. Je me protège, car j’ai trop souffert de leur silence.

Comment votre plus grand enfant a-t-il réagi lorsque vous lui avez parlé de votre passé ?

Il a été très ému. J’ai senti que c’était le bon moment pour lui en parler. Il a compris que cet enfant faisait partie de mon histoire, sans pour autant remettre en question sa propre place. Je lui ai expliqué que mes enfants aujourd’hui sont ceux que j’élève, mais que ce premier enfant reste une partie de moi. Il ne le considère pas comme un frère, mais il a accueilli cette révélation avec beaucoup de maturité.

Avez-vous trouvé du soutien auprès d’autres femmes ayant eu la même expérience ?

Non, à l’époque j’étais la seule à accoucher sous X dans mon entourage. J’étais très proche d’une autre maman à Magnificat avec qui j’ai gardé contact, ce qui m’a aidée à garder un équilibre.

Mais malgré cette présence amicale, ce qui m’a profondément manqué, c’est un véritable accompagnement humain et psychologique. J’aurais eu besoin qu’on me parle, vraiment. Pas seulement d’un point de vue administratif ou médical, mais avec empathie, avec sincérité. J’aurais aimé que quelqu’un prenne le temps de s’asseoir avec moi, de me regarder dans les yeux et de me dire, avec douceur mais franchise, ce que cette décision impliquait. Pas seulement à court terme, mais pour les années à venir : la trace que cela laisserait, le manque, les doutes, les anniversaires douloureux, les questions sans réponse. Qu’on me parle des conséquences émotionnelles, pas juste des démarches.

À 19 ans, on pense que l’on peut tout surmonter. Mais certaines blessures ne guérissent pas seules. Et ce silence autour de moi, cette absence d’écoute véritable, a laissé en moi une forme de vide. Aujourd’hui encore, je me dis que si j’avais eu cette parole-là, cet accompagnement-là, peut-être que certaines choses auraient été différentes. Ou peut-être pas. Mais au moins, j’aurais su que j’avais été entendue.

Quelle place la foi a-t-elle occupée dans votre parcours ?

Elle a été essentielle. La foi m’a aidée à ne pas sombrer dans des idées noires. Mon enfant est né le jour de la fête des anges gardiens, et j’y ai vu un signe. Je priais tous les matins et trouvais du réconfort dans la spiritualité. C’était mon refuge, ma force invisible. Encore aujourd’hui, elle occupe une place centrale dans ma vie et m’aide à surmonter les épreuves. C’est grâce à elle que j’ai pu accepter mon passé et avancer avec sérénité.

Comment avez-vous connu Magnificat ?

C’est ma mère qui m’a amenée chez une femme qui connaissait l’association Magnificat. Elle m’en a parlé et, finalement, j’y suis arrivée en juin 2006. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun contact avec mes parents, donc je n’ai pas plus d’informations à ce sujet.

Cependant, mon séjour à Magnificat reste un très bon souvenir.

Quel regard portez-vous sur votre parcours aujourd’hui ?

Je suis fière de moi. J’ai réussi à avancer, à construire une belle vie, une famille heureuse. J’ai levé le secret et je me sens libre. J’ai fait tout ce que je pouvais pour que mon enfant ait les informations dont il pourrait avoir besoin un jour.

J’ai appris qu’une femme porte en elle les cellules de l’enfant qu’elle a mis au monde, parfois pendant toute sa vie. Ce lien, invisible mais réel, laisse une trace indélébile dans le corps, comme dans l’âme. On ne peut effacer cela. Je ne peux pas faire semblant. Je ne peux pas vivre comme si cet enfant n’avait jamais existé.

Vivre en vérité, c’est ce qui m’a rendue libre. Cet enfant est une part de moi, son sang porte le mien. Il vit dans mon cœur de mère biologique, et je garde également un profond respect pour ses parents adoptifs, à qui j’ai confié ce que j’avais de plus précieux.

Si vous pouviez parler à la jeune femme de 19 ans que vous étiez, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais : « Tu vas souffrir, mais tu es forte. Tu as le droit de pleurer, tu as le droit de dire non. »

B.